Les impacts de la réforme du droit des obligations pour les entreprises.

Le « droit des contrats 2.0 » : l’obligation de faire évoluer ses pratiques commerciales (et ses contrats) pour limiter les risques. (Partie 1/3)

« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit.  » Cette citation d’Henri LACORDAIRE a sans doute présidé inconsciemment les travaux préparatoires de la commission de Pierre CATALA, puis du groupe de travail dirigé par François Terré.

Véritable bouleversement dans notre pratique du droit des contrats, la réforme du droit des obligations applicable au 1er octobre 2016 vient modifier en profondeur des textes napoléoniens qui datent pour la grande majorité…de 1804 ! Il aura donc fallu plus de deux cent ans au législateur pour (enfin) moderniser notre droit des contrats.

Comme toute (r)évolution, ces changements majeurs vont impacter la vie de vos entreprises.
Quelles sont les principales modifications apportées par la réforme ? Que devez-vous modifier dans vos pratiques commerciales ? Quels nouveaux risques et enjeux sont apparus avec l’entrée en vigueur du texte pour nos entreprises ?

L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations revêt un objectif principal : moderniser notre droit des contrats tout en le rendant plus compatible avec les pratiques internationales.

En la matière, le Code civil n’ayant pas accompagné les changements intervenus dans nos pratiques contractuelles depuis 1804, on s’en remettait de plus en plus à la jurisprudence.
Cette insécurité juridique créait une absence de confiance dans une matière où celle-ci est pourtant prépondérante.

Outre la clarté apportée dans le Code civil avec les textes qui ont fait l’objet d’une renumérotation, la réforme vient ériger en règle la double philosophie de notre droit positif : protéger la partie faible et placer la bonne foi au centre de toute relation contractuelle.

La consécration de ces notions et la codification de jurisprudences constantes de notre droit des contrats créent l’aire du contrat 2.0. Comme c’est le cas lors de tout changement majeur, les pratiques des entreprises vont devoir s’adapter et évoluer rapidement afin de ne pas subir les répliques de ce séisme juridique.

Les effets secondaires de la réforme sont déjà en marche : l’article 9 de l’ordonnance prévoit que celle-ci est applicable à compter du 1er octobre 2016 : « Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne.
Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance. »

La réforme du droit des obligations doit amener les entreprises à changer leurs pratiques au niveau de la formation des contrats (partie I), de leur exécution et de leur cessation (partie II), et modifie la répartition de pouvoirs entre les cocontractants et le juge (partie III). En codifiant et en intégrant de nouveaux dispositifs visant à protéger le cocontractant en position de faiblesse, on s’interrogera enfin sur les effets pervers de cette modernisation de notre droit des contrats (Conclusion).

I/ L’impact de la réforme sur la phase précontractuelle et la formation des contrats.

La phase précontractuelle faite d’échanges d’informations, de discussions, de négociations souvent peu formalisées, n’était pas soumise à un véritable cadre légal, ce qui n’était pas sans poser de difficultés. La jurisprudence était au fur et à mesure venue sanctionner de manière pragmatique certains abus. Toutefois cette période était marquée par l’incertitude, le risque et l’insécurité juridique, notamment en cas de déséquilibre dans le rapport de force entre les parties.

Avec l’apparition des articles 1112 à 1112-2 du Code civil, issus de l’Ordonnance du 10 février 2016, la phase précontractuelle est désormais encadrée. Le principe reste la liberté, mais celle-ci est désormais soumise à des gardes fous que sont l’exigence de bonne foi et même l’obligation générale d’information précontractuelle. Désormais, la partie qui détient une information déterminante (en lien direct et nécessaire avec le futur contrat, sans porter sur la valeur de la prestation) du consentement de l’autre (qui doit ignorer cette information de manière légitime ou faire confiance au débiteur de l’information) a l’obligation de la transmettre.

Les conséquences de fautes dans la négociation, pourront entrainer selon les cas la nullité du contrat et/ou des dommages et intérêts si celui-ci a été signé, ou en cas d’échec des négociations, le cas échéant une indemnisation, qui ne pourra être que limitée (le préjudice ne pouvant avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu).

Le Code civil sanctionne également désormais et de manière autonome la divulgation d’informations confidentielles (même en l’absence de toute clause de confidentialité).

Dans le même esprit d’un renforcement de la bonne foi et de la protection de la partie la plus faible, avant et au moment de la signature de contrats, l’article 1143 du Code civil marque l’apparition d’un nouveau vice du consentement autonome l’abus de dépendance, qui devient un cas de violence.

Ce vice du consentement (donc sanctionné par la nullité du contrat affecté d’un vice lors de sa formation) est soumis à trois conditions cumulatives : un état de dépendance économique de la victime, un abus déterminant et un avantage manifestement excessif tiré de la situation.

Même si pour partie, ces nouvelles règles résultent de la codification de positions jurisprudentielles, il existe désormais un nouveau cadre fixant les limites de ce qui est acceptable en phase précontractuelle. Les juges vont par les décisions à venir, affiner l’interprétation de ces nouvelles règles en fonction des situations concrètes qui leurs seront soumises.

Les entreprises doivent dès maintenant prendre conscience de la portée de cette réforme et repenser leurs méthodes et pratiques de négociation à l’aune de principes directeurs que sont la bonne foi et la transparence.
Au-delà de la nécessité renforcée de se faire accompagner et conseiller par des professionnels dans la phase précontractuelle, les entreprises devront anticiper et préparer les négociations à venir, notamment en renforçant la formalisation des échanges, en faisant preuve de plus de prudence dans les informations transmises, leur portée et la perception de celles-ci ou en se renseignant de manière suffisante sur la situation économiques de leur interlocuteur…

La suite (Partie II : l’impact de la réforme pendant l’exécution et à la cessation du contrat), au prochain épisode.

Hadrien DEBACKER    Yannick TETTINI