Successions : peut-on imposer ses dernières volontés à ses héritiers ?

Cas soumis à la Cour : trois enfants bénéficient de leur mère d’une donation-partage leur attribuant chacun des biens, pour partie à titre préciputaire (cette partie est donnée en plus de la part de réserve revenant à chacun des héritiers) et, pour le surplus, en avancement d’hoirie (cette partie s’impute sur la part de réserve de chacun des héritiers).

La mère a inséré une clause spécifique dans l’acte de donation-partage selon laquelle, si l’un ou l’autre des donataires attaque cet acte pour quelque cause que ce soit, il sera privé de toute part dans la quotité disponible (partie de l’héritage dont le donateur peut disposer librement).

Les héritiers donataires acceptent cette clause.

Postérieurement au décès de la mère, un conflit survient et deux des héritiers assignent en justice le troisième, ce qui tend à remettre en cause l’acte de donation-partage.

Dès lors, ce troisième héritier invoque en réponse la clause spécifique et demande que les deux autres héritiers soient privés de leur part dans la quotité disponible.

La problématique juridique peut être posée sous diverses questions :

  • Puis-je priver mes héritiers de la part leur revenant dans la quotité disponible s’ils contestent mes dernières volontés en justice ?
  • Puis-je empêcher mes donataires de contester l’acte de donation en justice ?
  • Jusqu’à quel point puis-je faire respecter mes dernières volontés ?
  • Du côté des héritiers : si j’ai accepté une donation puis-je en contester l’application en justice alors que l’acte tend à m’en empêcher ?

La Cour d’Appel estime que l’action des deux héritiers constitue une remise en cause du partage lui-même, qui contrevient aux énonciations de la clause spécifique qu’ils ont acceptée.

Les Juges décident que ces deux héritiers doivent être privés de toute part dans la quotité disponible de la succession de leur mère.

Les deux héritiers ont contesté cette décision et soutenu à l’occasion de leur pourvoi en cassation que cette clause constituait une menace d’exhérédation alors qu’ils tentaient simplement de faire valoir leur droit de poursuivre l’annulation d’une donation-partage à laquelle ils estimaient avoir consenti sous l’empire d’un dol.

Ils invoquèrent les dispositions du 1er paragraphe de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif au droit à un procès équitable, qui prévoient notamment que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Se basant sur ce même article, la Cour de cassation a refusé d’appliquer la clause et reproché à la Cour d’appel de l’avoir fait sans rechercher si cette clause n’avait pas pour effet de porter une atteinte excessive au droit d’agir en justice des bénéficiaires.

La Cour de Cassation a donc cassé la décision d’appel et renvoyé les parties devant la Cour d’Appel autrement composée, afin de rejuger l’affaire à l’aune des dispositions européennes précitées.

Il ressort de cette affaire qu’un donateur peut contraindre ses donataires à respecter ses dernières volontés et le contenu de la donation, mais encore faut-il que la sanction envisagée soit mesurée et ne contrevienne pas à des principes fondamentaux.

Tout est une question de mesure…

 

Rédigé par Me Magalie BORGNE – Avocate